Par Franc Muller – Avocat rupture conventionnelle, Paris

 

Analyse des motivations participant à la conclusion d’une rupture conventionnelle

Une étude publiée en janvier 2016 par le Centre d’études de l’emploi, intitulée « le consentement du salarié à la rupture conventionnelle, entre initiative, adhésion et résignation »  s’intéressait aux raisons du salarié ayant donné son consentement à ce mode de rupture du contrat de travail.

Cette étude très documentée sonde entre autres les motivations des salariés ayant rompu leur relation contractuelle par ce moyen.

Les auteurs y relèvent que la rupture conventionnelle constitue « à la fois un substitutif et un facilitateur des ruptures de contrat de travail à durée indéterminée. Dans une moitié des cas, elle sécurise des ruptures qui auraient eu lieu, qu’elles soient voulues par le salarié (elle remplace avantageusement la démission) ou par l’employeur (elle remplace avantageusement le licenciement). Dans l’autre moitié, elle facilite des ruptures dont les motifs ne sont pas clairement identifiables, ce qui soulève la question de sa contribution à l’évolution du chômage et, au-delà, de la pertinence du choix actuel de sécuriser les parcours au détriment de la pérennisation des contrats de travail. »

Rappelons qu’un consentement libre et éclairé du salarié constitue en principe une condition déterminante de la validité de la rupture conventionnelle, de sorte que lorsque ce consentement fait défaut, la partie lésée peut poursuivre l’annulation de la convention de rupture devant le Conseil de Prud’hommes.

Le vice du consentement est en effet, avec la fraude, un des rares motifs d’annulation admis par la Cour de cassation.

L’étude comporte une partie cherchant à déterminer dans quelle mesure la rupture conventionnelle a remplacé des ruptures à l’initiative de l’employeur (licenciements) ou du salarié (démissions et prises d’acte) et dans quelle mesure elle a produit un surcroît de ruptures qui s’apparentent à des démissions, à des licenciements ou à aucune de ces deux modalités de rupture.

Elle établit ainsi que 34 % des ruptures s’apparentaient à des licenciements (pour motif personnel ou pour motif économique) et que 38 % s’apparentaient à des démissions, voire même 55 % si l’on y ajoute les démissions conflictuelles.

La rupture conventionnelle, « outil de sécurisation »

A ces deux catégories s’ajoute une troisième, qui ne s’apparente ni au licenciement, ni à la démission, estimée à 11 % des ruptures conventionnelles, directement imputable aux caractéristiques de ce dispositif qui dispense les parties d’évoquer des motifs.

Cette troisième catégorie de ruptures, qualifiées par les auteurs de « ruptures opportunistes », n’aurait probablement pas eu lieu en l’absence de ce dispositif, la rupture conventionnelle permettant une rupture hâtive, voire inconsidérée, du contrat de travail.

En conclusion de ce long travail d’analyse, l’étude attribue une large part du succès actuel de la rupture conventionnelle au fait qu’elle constitue tout d’abord un outil de sécurisation, pour le salarié comme pour l’employeur.

Pour le salarié, elle remplace avantageusement la démission dans la mesure où elle lui donne droit au bénéfice de l’assurance chômage.

Pour l’employeur, elle remplace avantageusement les licenciements, car elle le dispense de l’obligation de donner des motifs à la rupture, et réduit le risque de contentieux en lui permettant d’échapper aux litiges portant précisément sur le motif de la rupture.

La rupture conventionnelle constitue aussi un dispositif de facilitation des ruptures, puisqu’elle permet en réalité de rompre rapidement le contrat de travail, dés lors que ce mode de rupture ne prévoit, sauf accord des parties, pas de préavis.

La contrainte exercée par l’employeur, cause de nullité de la rupture conventionnelle

Le succès de la rupture conventionnelle va grandissant, il s’en était conclu 454 000 en 2021.

Ce chiffre est à comparer à celui des 126 000 ruptures conventionnelles signées au cours du premier semestre 2009, année suivant l’instauration de ce mode de rupture dans le Code du travail.

La loi prévoit que la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties (article L 1237-11 du Code du travail), et que sa conclusion est subordonnée à leur libre consentement, spécialement à celui du salarié, serait on tenté de dire.

La jurisprudence a, au demeurant, énoncé que le choix du salarié de rester ou non dans l’entreprise, doit être libre et éclairé, et qu’il ne peut donc s’agir pour lui d’une alternative entre quitter volontairement l’entreprise ou être licencié (C.A Rouen, 13 mars 2012, n° 11/03543).

Cela étant, les conditions de requalification d’une rupture conventionnelle en licenciement sont rares, au regard des exigences très arrêtées des Hauts magistrats pour y satisfaire.

La Cour de cassation est en effet globalement très bienveillante à l’égard de ce mode de rupture, et ne se résout à en prononcer l’annulation que lorsque le salarié parvient à démontrer l’existence d’une fraude ou d’un vice du consentement (erreur, dol, violence…) (Cass. soc. 28 mai 2014 n° 12-28082).victime de harcelement moral

Un récent arrêt statuant sur l’annulation d’une rupture conventionnelle nous paraît intéressant, en ce qu’il relate les circonstances dans lesquelles un salarié avait été amené à accepter sous la contrainte de mettre ainsi un terme à son contrat de travail.

Celles-ci révèlent le joug parfois imposé au salarié, qui se trouve davantage en position de subir que de choisir ; c’est alors que le recours au Juge peut a posteriori être nécessaire.

Illustration par l’exemple :

Les faits étaient les suivants : un salarié qui exerçait les fonctions de directeur industriel dans une entreprise, s’était vu proposer par son employeur une rupture conventionnelle et avait été convoqué à un entretien fixé au 28 juillet 2010 pour finaliser cette rupture.

A l’issue de cette réunion, aucune convention n’avait été signée, le salarié n’approuvant semble-t-il guère les conditions qui y étaient prévues.

Après avoir reçu plusieurs mails démontrant que les pourparlers relatifs à cette rupture se déroulaient dans un climat de tension professionnelle, il recevait une lettre d’avertissement, datée du 3 août 2010, dans laquelle l’employeur entendait mettre un terme à la possibilité de rupture conventionnelle.

A sa suite, l’employeur adressait au salarié, le 12 août 2010 une lettre de mise à pied conservatoire, avec convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement pour faute grave.

Le même jour, les parties signaient une convention de rupture.

C’est dans ce contexte que le salarié saisissait la juridiction prud’homale afin de voir juger qu’il avait signé la rupture conventionnelle sous la contrainte et que cette rupture produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel avait fait droit à sa demande, considérant que le consentement de l’intéressé avait été vicié en l’absence de libre choix au regard des pressions exercées par la société.

Le stratagème utilisé par l’employeur plaçait en effet le salarié dans une position insoutenable : entre signer une rupture conventionnelle, comportant une indemnité de départ inférieure de moitié à celle envisagée dans le cadre des pourparlers initiaux, et un licenciement pour faute grave, celui-ci n’avait pu qu’opter pour la moins mauvaise des solutions.

Les Juges relèvent également que l’employeur avait exercé son pouvoir disciplinaire avant la signature de la convention de rupture.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur, et s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. soc. 16 sept. 2015 n° 14-13830).

Cette décision mérite pleinement l’approbation.

Soulignons en outre que cet arrêt statue par ailleurs sur les conditions nécessaires à la qualité de Cadre dirigeant.

La Haute juridiction énonce à cet égard que lorsque le salarié n’a aucune autonomie pour organiser librement ses journées de travail, cette qualification ne lui est pas applicable.

En l’espèce, le salarié était, de ce fait, fondé à obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires pour heures complémentaires.

Pour un droit à la déconnexion
Rupture conventionnelle après une démission