Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une décision qui constitue une première

Pour la première fois à notre connaissance, la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur la requalification d’un auto-entrepreneur en salarié.

Cette décision suscite donc une attention toute particulière.

On sait que dans les faits, il arrive que la relation de travail qui unit un auto-entrepreneur au donneur d’ordres relève en réalité du contrat de travail, et partant du salariat, et non de la prestation de services.

L’enjeu de cette requalification est de taille car, outre la protection sociale et le bénéficie de l’allocation chômage, le salarié est en droit d’attendre que l’employeur justifie d’un motif légitime lorsqu’il procède à la rupture de son contrat de travail, à défaut il est fondé à poursuivre sa condamnation à lui payer des dommages intérêts.

Mais l’issue d’une action en requalification n’est pas acquise par avance, tant les juridictions prud’homales, du moins à travers l’expérience que l’on en a, font preuve d’une grande résistance à cet égard.

L’intéressé se voit fréquemment opposer les termes des articles L 8221-6 et L 8221-6-1 du Code du travail, qui instituent une « présomption de non salariat. »

Ainsi lorsque des personnes physiques sont inscrites au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des URSSAF, elles sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de leur activité.

Il incombe à celui qui prétend exercer son travail dans le cadre d’une relation salariée d’en rapporter la preuve et de démontrer que cette relation fait ressortir l’existence d’un lien de subordination entre les parties.

Un arrêt qui suscite l’espoir

A cette aune, l’arrêt de la Cour de cassation offre une lueur d’espoir non négligeable.

Dans cette affaire, le demandeur avait exercé une activité commerciale en qualité d’auto-entrepreneur pendant deux ans au service d’une société, et avait saisi le Conseil de Prud’hommes aux fins de requalification de sa relation avec la société, en salariat.

Sa demande avait été rejetée par la Cour d’appel qui avait estimé qu’il n’établissait pas l’existence d’un lien de subordination et, d’autre part, que son refus d’assister à une foire exposition, ainsi que les factures de services qu’il adressait à la société excluaient la caractérisation d’un contrat de travail.

Cette motivation avait de quoi laisser dubitatif.

L’interprétation de la Cour d’appel n’est au demeurant pas partagée par les Hauts magistrats (Cass. soc 6 mai 2015 n° 13-27535).

Les critères d’appréciation pour retenir l’existence d’un contrat de travail

Ceux-ci retiennent au contraire l’existence d’un contrat de travail, qui résulte de plusieurs critères :

  • l’intéressé avait travaillé dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société,
  • il était tenu d’assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales,
  • la société lui avait assigné des objectifs de chiffre d’affaires annuel,
  • il lui était imposé de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine que celles-ci soient refusées.

Ils déduisent de ces constatations qu’il existait ainsi entre le donneur d’ordre et l’auto-entrepreneur un véritable lien de subordination.

Autre décision pour laquelle un lien de subordination juridique permanent caractérisait l’existence d’un contrat de travail

Une autre décision parvenant aux mêmes conclusions a été rendue dans le cadre d’un redressement effectué par l’URSSAF auprès d’une société, la société FORMACAD, exerçant une activité de formation.

La Cour d’appel avait retenu que :

A l’examen des déclarations annuelles des données sociales 2008 et 2009, plus de 40 % des formateurs salariés en 2008, avaient été recrutés sous le statut d’auto-entrepreneur au cours de l’année 2009, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 ; ces formateurs « auto-entrepreneurs » étaient liés par un contrat « de prestations de services » à durée indéterminée pour des cours de soutien scolaire et animation de cours collectifs ; ils exerçaient leur activité au profit et dans les locaux de la société qui les partageait avec la société Acadomia, auprès d’élèves qui demeuraient sa clientèle exclusive ; les cours de rattrapage étaient dispensés selon un programme fixé par la société Formacad et remis aux professeurs lors de réunions pédagogiques de sorte que l’enseignant n’avait aucune liberté pour concevoir ses cours ; les contrats prévoyaient une « clause de non-concurrence » d’une durée d’un an après la résiliation du contrat de prestation interdisant aux formateurs de proposer leurs services directement aux clients présentés par la société et limitaient de ce fait l’exercice libéral de leur activité ; au contrat était inscrit un mandat aux termes duquel l’auto-entrepreneur mandatait la société pour réaliser l’ensemble des formalités administratives liées à son statut, émettre des factures correspondant au montant des prestations réalisées et effectuer en son nom les déclarations trimestrielles de chiffre d’affaires et le paiement des charges sociales et fiscales ; si selon le contrat, le formateur est libre d’accepter ou non la prestation, force est de constater que ce contrat était conclu pour une durée indéterminée de sorte que le formateur n’est pas un formateur occasionnel mais bien un enseignant permanent ; l’inspecteur de recouvrement avait ainsi pu valablement conclure qu’aucune modification des conditions d’exercice n’était intervenue dans l’activité des formateurs initialement salariés puis recrutés en tant qu’auto-entrepreneurs à compter de janvier 2009.

La Cour de cassation tire pour conséquence de cet énoncé qu’il faisait ressortir que les formateurs recrutés à compter du 1er janvier 2009 sous le statut d’auto-entrepreneurs étaient liés à la société par un lien de subordination juridique permanente, caractérisant l’existence d’un contrat de travail (Cass. Civ 2ème 7 juill. 2016 n° 15-16110).

Il est en effet de jurisprudence constante que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Cass. soc 25 juin 2013 n° 12-13968).

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