Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

La simplification, source miraculeuse de toute solution

L’effervescence du moment, pour ceux que l’actualité du droit du travail intéresse, concerne la simplification du Code du travail.

Difficile d’échapper à ce débat, tant le sujet est martelé avec insistance par les hommes politiques, premier ministre en tête, et par les médias, au point que le journal « Le Monde » en a fait l’édito de son édition datée du 3 septembre.

Les termes du débat sont les suivants, si nous les avons bien saisis : la multiplication de textes légaux en droit du travail au cours des dernières décennies aurait contribué à rendre l’application du Code du travail très, voire trop, complexe et à créer une source d’insécurité juridique pour les entreprises, au point de constituer un obstacle à l’embauche.

Compte tenu du niveau de chômage actuel, il serait donc urgent de réformer, en simplifiant considérablement le Code du travail, afin de lever ces entraves.

De nombreux avis autorisés se sont prononcés sur la question, c’est ainsi que le très respectable et respecté Robert BADINTER, associé à Antoine LYON-CAEN, éminent Professeur de droit du travail, ont publié un court livre intitulé « le travail et la loi ».

Les auteurs y dressent le constat que le nombre d’articles du Code du travail serait passé de 600, en 1974, à plus de 8 000 actuellement, et proposeraient de réduire ce Code à l’application de 50 grands principes fondamentaux qui serviraient de guide et seraient librement interprétés par le Juge.

La part belle serait en outre faite au dialogue social et aux accords collectifs, de branche ou d’entreprise

De telles mesures seraient destinées à combattre efficacement le chômage de masse que nous connaissons actuellement.

Dans le même ordre d’idées, Jacques BARTHELEMY, avocat jouissant d’une forte notoriété en droit du travail, ayant contribué à l’introduction de nombreux dispositions légales notamment sur la durée du temps de travail, et Gilbert CETTE, économiste, viennent de faire paraître un ouvrage, « réformer le droit du travail », dans lequel ils soutiennent également que la profusion règlementaire nuit considérablement à l’efficacité économique.

Le remède qu’ils préconisent est identique, et passerait par la possibilité de conclure des accords collectifs dérogeant aux dispositions du Code du travail.

Précisons que les accords collectifs résultent du fruit de la négociation entre employeurs et syndicats représentatifs majoritaires de salariés.

Or, Messieurs BARTHELEMY et CETTE soulignent à juste titre que le taux de syndicalisation est très faible en France.

L’employeur risque en conséquence d’être dépourvu d’interlocuteur dans de nombreuses entreprises, ce qui ne peut que susciter des interrogations sur la manière d’y suppléer (recours aux délégués du personnel, à des salariés mandatés ?….) et sur l’application concrète d’un tel projet.

Leur propos est loin d’être une nouveauté, puisqu’ils ne cessent de le répéter depuis 2010, mais il semble rencontrer aujourd’hui l’oreille attentive qui lui manquait hier.

Nous attendons encore la livraison du rapport de Jean-Denis COMBREXELLE, président de la section sociale du Conseil d’Etat, qui abondera semble-t-il dans le même sens et devrait ébaucher des propositions.

Une réglementation trop complexe (?)

Fort de ces autorités, le premier Ministre, Manuel VALLS, a déclaré le 30 août dernier à La Rochelle, vouloir « revoir en profondeur la réglementation du travail », arguant que le Code du travail serait devenu si complexe qu’il en est devenu inefficace.

On observera cependant que les hommes politiques ne sont pas exempts de responsabilité dans cette abondance de textes, toute circonstance étant devenue prétexte à légiférer.

Il nous souvient en outre d’un temps où le mot était à la « flexi-sécurité », supposée donner de la flexibilité aux entreprises tout en garantissant en contrepartie la sécurité aux salariés.

Il n’est plus désormais question que de flexibilité, les droits des salariés en période de fort chômage étant relégués au second plan.

La stratégie déployée par le gouvernement pour relancer la croissance et lutter contre ce fléau est toute orientée vers les entreprises (« politique de l’offre »), de sorte que la réforme passerait par une libéralisation du marché du travail.

Reste que le postulat sur lequel s’appuie les réformes envisagées actuellement peut paraître discutable.

Que le Code du travail soit complexe est une réalité, mais cela résulte de la complexité des situations qu’il régit

Il suffit au demeurant de lire certaines décisions prud’homales pour s’en convaincre, et constater qu’il est d’une complexité telle qu’elle échappe parfois aux conseillers prud’homaux.

Mais faut-il jeter le Code du travail aux orties pour que la courbe du chômage s’inverse ? Assurément non.

Notre système juridique est fondé sur l’application de règles qui reposent sur un ordre public social assurant la protection des salariés.

C’est ainsi qu’a été consacré un principe fondamental en droit du travail, qualifié de « principe de faveur », et codifié à l’article L 2251-1 du Code du travail.

Cet article prévoit qu’une « convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public»

C’est ce principe qui sera battu en brèche demain, puisque cette hiérarchie des normes ne serait plus applicable, de sorte que des accords d’entreprise permettront de déroger à la loi, et le cas échéant d’imposer à des salariés une diminution de leur rémunération ou une augmentation de la durée du travail… sans qu’ils aient à y redire.

C’est tout l’enjeu des discussions actuelles.

La simplification du Code du travail passe-t-elle nécessairement par la remise en cause de ses fondamentaux ? Il est permis d’en douter.

Alléger les règles applicables en droit du travail afin de faciliter l’embauche et la vie quotidienne des entreprises est parfaitement légitime, mais bouleverser un édifice qui aboutirait concrètement à favoriser les employeurs en précarisant les salariés parait plus critiquable.

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