Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le droit retrait est prévu par le Code du travail

Les arrêts de la Cour de cassation statuant sur l’exercice par un salarié de son droit de retrait ne sont guère nombreux, de sorte qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier une situation pouvant en justifier.

Une récente décision de la Haute juridiction, auréolée de surcroit de la publicité réservée aux arrêts importants, vient utilement apporter certaines précisions.

Elle traite en particulier des conséquences du licenciement illicite d’un salarié ayant légitimement fait usage de son droit de retrait.

Rappelons que les salariés disposent d’un droit d’alerte et de retrait prévu par le Code du travail.

A ce titre, l’article L 4131-1 précise que « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. »

L’article L 4131-3 ajoute en outre, « aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux.»

Reste à déterminer ce qu’est une situation de travail pour laquelle un salarié peut légitimement penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

A titre d’illustration, on relatera les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la Cour de cassation.

Droit de retrait d’un salarié victime d’agressions xénophobes

Un salarié, Mustapha X, s’était vu confier une mission en Russie.

Quelques jours seulement après son arrivée, il envoyait à son employeur un mail en indiquant :

« (…) La plus grave de mes craintes ici est le racisme, je suis sorti 3 fois dans le centre pour aller manger ou aller au magasin et je me suis fait agresser 2 fois et cela en seulement 4 jours de présence ici. La première fois j’étais seul et un Russe s’en est pris gratuitement à moi et voulant me frapper (deux de ses copines l’ont repoussé et se sont excusées). La deuxième fois en présence de mon collègue de travail Xavier, en allant manger hier soir, on a essuyé des jets de projectiles divers ainsi que des crachats et des insultes ; D’autant plus que vous devez savoir qu’un collègue chinois s’est fait agresser physiquement ici en présence de l’équipe. »

Le surlendemain, il exerçait son droit de retrait en demandant à l’employeur de lui adresser un billet d’avion de manière à pouvoir rentrer en France, après qu’il lui ait écrit avoir, à nouveau, été pris pour cible à deux reprises en rentrant chez lui.

Le salarié avait été licencié pour faute grave, l’employeur remettant en cause la légitimité de son droit de retrait et estimant que ses craintes d’agressions à caractère raciste étaient infondées.

L’employeur citait pourtant dans la lettre de rupture le témoignage qu’il avait recueilli auprès d’un autre salarié sur place.

Ce salarié, mentionné par M. Mustapha X. comme ayant été victime d’une agression, décrivait des faits tout aussi inquiétants :

« Le policier qui m’a attrapé par le col de mon pull était saoul et je n’ai pas compris la raison de son geste. C’est une personne qui était avec lui qui nous a séparés. Ce genre de soucis arrive principalement le soir surtout le vendredi, samedi et dimanche, la principale activité au village est de boire. Il faut surtout éviter et quitter les lieux où l’alcool coule à flots. En ce moment c’est le début des vacances, beaucoup de lycéens et étudiants sont de retour au village, sachant que leur plus grande occupation est aussi de boire ce qui exacerbe leur nationalisme, tout étranger qui ressemble à un étranger pourrait en faire les frais. H… (FSS) a reçu un soir un coup de poing (…). Dans ce village, il y a majoritairement des Russes, les autres sont arméniens, azerbaïdjanais, daghestanais, kazakhs, tchétchènes ; Ils vivent ensemble mais l’alcool aidant les Tchétchènes sont les premiers à en faire les frais. C’est aussi le cas pour celui qui pourrait ressembler à un tchétchène. Il faut un certain temps aux villageois pour reconnaître un nouveau venu et ses origines. Il faut aussi avoir une attitude et un comportement neutre et aller vers eux pour faire tout doucement partie du « paysage » et du groupe étranger de passage qui travaille pour le four à verre…. »

Aussi sidérants que paraissent ces propos, révélant un fort climat d’insécurité, l’employeur, en relativisait la portée et avait licencié M. Mustapha X pour faute grave, au motif de son refus d’exécuter une autre mission à l’étranger sans motifs légitimes !

Un licenciement jugé nul

La Cour de cassation rejette les arguments de l’employeur, et approuve les Juges d’appel d’avoir considéré que ce licenciement était nul, en jugeant que « le salarié avait légitimement exercé son droit de retrait, peu important qu’il ait obtenu l’accord de son employeur pour quitter son poste de travail, et que l’un des reproches formulés par l’employeur dans la lettre de licenciement reposait sur l’exercice de ce droit de retrait » (Cass. soc. 25 nov. 2015 n° 14-21272).

L’employeur avait en l’occurrence négligé qu’il est tenu à une obligation de sécurité, lui imposant de prendre soin de la santé et de la sécurité des salariés.

Or, cette dernière n’était manifestement pas assurée.

On retiendra comme premier enseignement que l’accord préalable de l’employeur à l’exercice par le salarié de son droit de retrait n’est pas une condition requise.

Soulignons que la Haute juridiction prononce en outre la nullité du licenciement, avec les conséquences de droit qu’emporte une telle qualification.

Le licenciement nul a pour effet de permettre au salarié qui souhaite l’obtenir, la réintégration dans son emploi.

A défaut, le salarié qui ne demande pas sa réintégration, a droit, outre la réparation de l’intégralité du préjudice subi du fait du caractère illicite du licenciement, aux indemnités de rupture (Cass. soc. 27 juin 2000 n° 98-43439).

Réforme du droit du travail, J - 1
Quels risques en cas de CV mensonger ?