Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les faits

Un jugement de la section Commerce du Conseil de Prud’hommes de Paris, en date du 16 décembre 2015, consultable ici, a suscité à juste titre colère et indignation, après que sa motivation consternante ait été divulguée, et reprise par plusieurs organes de presse.

Malheureusement, les praticiens qui fréquentent les juridictions prud’homales ne seront guère surpris à la lecture de cette motivation indigente, ce qui n’est pas sans soulever des questions de fond dont la résolution n’est pas prête d’intervenir.

Revenons tout d’abord sur les faits de cette affaire.

Un coiffeur avait été engagé par contrat à durée indéterminée avec une période d’essai de deux mois.

Au cours de cette période d’essai, il a reçu par mégarde un SMS qui ne lui était pas destiné, expédié par son responsable, qui écrivait à son propos : « je ne garde pas X, je le préviens demain, on fera avec des itinérants en attendant, je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de pute. »

L’employeur mettait un terme à sa période d’essai le lendemain.

C’est dans ces circonstances que le salarié saisissait le Conseil de Prud’hommes, faisant valoir qu’il avait été victime d’une discrimination liée à son orientation sexuelle et qu’il était sanctionné en raison d’une absence d’une journée pour maladie.

Le défenseur des Droits, qui était intervenu volontairement à l’instance, estimait que la discrimination envers le salarié, du fait de son orientation et de son état de santé, était établie.

L’employeur soutenait en revanche que le terme « PD », utilisé par sa cliente n’était qu’un simple abus de langage, qu’il était entré dans le langage courant, et qu’il n’avait aucun sens péjoratif ou homophobe dans l’esprit de son auteur.

Il ajoutait qu’il convenait de replacer ce litige dans son contexte, car la société qui employait le salarié évoluait dans le secteur de la coiffure, « secteur dans lequel la communauté homosexuelle est très représentée » (cit.).

Une motivation affligeante… mais tellement habituelle !

Le Conseil de Prud’hommes a rejeté la demande du salarié relative à la discrimination, ainsi qu’à la rupture abusive de la période d’essai, mais probablement sensibilisé par l’intervention du défenseur des droits, a accordé à l’intéressé la somme de 5 000 € au titre de son préjudice moral.

Il a en outre fait sienne l’argumentation développée par l’employeur et jugé, la reproduisant quasiment à l’identique, « que le terme de PD employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins sans que cela ne pose de problèmes ».

Par-delà le lieu commun absurde que contient cette motivation, et le fait incontestable que la discrimination soit établie, cette décision est révélatrice des carences habituelles de la juridiction prud’homale.

Le droit du travail comporte en effet cette particularité que la juridiction de première instance (le Conseil de Prud’hommes), est constituée à part égale de Conseillers issus d’organisations syndicales (pour les salariés) et patronales (pour les employeurs), provenant du monde du travail, et qui n’ont bien souvent aucune formation juridique.

Cette absence de formation juridique, assez atypique pour une juridiction, se fait parfois douloureusement ressentir.

Une absence de formation juridique dont les décisions se ressentent

Si la plupart des décisions sont motivées convenablement, il n’est cependant pas rare qu’un jugement soit mal rédigé, ou dépourvu de motivation, voire qu’il comporte un énoncé contraire à la règle de droit, comme c’est le cas en l’espèce, ce qui a de quoi laisser les justiciables qui y sont confrontés légitimement interloqués.

Il n’est ainsi pas surprenant que le taux d’appel soit de 62,1 %, pour les jugements prud’homaux, tandis qu’il est nettement inférieur devant les autres juridictions civiles (19,2 % pour le TGI, 6,3 % pour le Tribunal d’instance…).

Le rapport LACABARATS, rédigé en juillet 2014, par un ancien Président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, soulignait déjà les insuffisances de la formation des Juges prud’homaux.

Les conseillers prud’hommes bénéficient certes de plusieurs heures de formation dans le cadre de leur mandat, mais on objectera que, toute proportion gardée, un Master 2 en droit s’obtient après cinq années d’études…

La loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015 a bien revalorisé la formation des Conseillers, en ajoutant à la formation initiale une obligation de formation continue, dont l’absence de suivi est assortie de sanction.

Cette loi permet également dorénavant aux parties, sous certaines conditions, de saisir directement le Juge départiteur à l’issue de l’audience de conciliation, et de faire ainsi examiner leur affaire par une formation présidée par un magistrat professionnel.

Mais des progrès restent à accomplir, et il est à craindre qu’ils se fassent à pas comptés…

L’orientation actuelle du législateur est au demeurant de faciliter, autant que faire se peut, le règlement amiable des litiges.

Nouvelle durée de la période d'essai, convention collective SYNTEC
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