Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le marché du travail a subi au cours des dernières années une profonde transformation, et les embauches sous forme de contrat à durée indéterminée qui, dans le Code du travail constituent la forme normale de la relation de travail, sont réduites à une portion congrue.

La part des contrats à durée déterminée et des missions d’intérim représentent en effet désormais plus de 90 % des embauches, la prévalence du contrat à durée indéterminée se révélant ainsi être une chimère.

Cette précarisation de la relation de travail salariée a pour corollaire l’apparition de nouveaux travailleurs « indépendants », exerçant leur activité sous le statut d’auto-entrepreneur.

Si pour certains d’entre eux, ce mode d’exercice résulte d’un choix véritable, pour d’autres, probablement les plus nombreux, ce choix est davantage contraint par l’exigence d’une entreprise donneuse d’ordre qui ne consent à leur fournir du travail que sous réserve qu’ils aient adopté ce statut.

L’ère numérique a accompagné, quand elle n’a pas encouragé, ce mouvement.

Ainsi, les chauffeurs recrutés par UBER ne peuvent exercer leur activité que sous forme de société ou sous le statut d’auto-entrepreneur.

De même, plusieurs sociétés de livraison en ligne (Foodora, Take eat easy…) ne recrutent que des livreurs, auto-entrepreneurs, avec lesquels elles concluent des « contrats de partenariat. »

Si l’employeur y trouve avantage en minorant le coût de ses charges sociales, les intéressés sont a contrario privés des avantages qu’offre le salariat (congés payés, temps de travail, assurance chômage…).

Le Code du travail institue une présomption de non salariat pour les personnes dont l’activité donne lieu à immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers (article L 8221-6).

Cet article est cependant complété par une disposition prévoyant que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. »

On se souvient en effet que le salariat est défini par l’existence d’un lien de subordination entre un salarié et un employeur.

La jurisprudence considère à cet égard que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cass. soc 19 déc. 2000 n° 98-40572).

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination (Cass. Soc. 2 déc. 2015 n° 14-21992, Cass. soc 6 mai 2015 n° 13-27535, Cass. soc 4 déc. 2013 n° 12-26553).

Certaines décisions sont allées plus loin en retenant que la dépendance économique pouvait constituer un des critères du contrat de travail.

Les actions à fin de requalification de la relation de travail en salariat se multiplient.

La réforme du droit du travail, prévue par la très contestée loi El Khomri, franchit désormais un pas supplémentaire en accordant des droits à ces travailleurs d’un genre nouveau, ce qui constitue une avancée positive.

Les députés ont en effet adopté le 1er avril dernier un amendement, ajoutant dans le Code du travail un titre intitulé « Travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique. »

Ils bénéficieront d’un droit d’accès à la formation professionnelle continue, dont la contribution financière sera prise en charge par la plateforme (article L 7341-5 nouveau du Code du travail).

Ils pourront constituer un syndicat (article L 7341-8 nouveau du Code du travail).

Lorsque ces travailleurs se mettront en grève pour défendre leurs revendications professionnelles, leur responsabilité contractuelle ne pourra être engagée, et l’exercice du droit de grève ne pourra constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes (article L 7341-7 nouveau).

Mais là s’arrêtent les points communs avec le salariat.

Il n’est pas à exclure qu’on assiste à l’avenir, comme cela se passe en Allemagne, à l’apparition d’une nouvelle catégorie de travailleurs indépendants, à l’équilibre fragile, qui auront adopté ce statut faute de trouver un emploi salarié et pour échapper au chômage.

clause de non concurrenceClause de non-concurrence, pas de minoration en cas de démission
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