Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

La clause de respect de la clientèle, substitut de la clause de non-concurrence ?

Depuis 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation subordonne la validité d’une clause de non-concurrence notamment à l’existence d’une contrepartie financière.

Cette position se justifie par l’entrave qu’une telle clause porte à la liberté fondamentale du salarié d’exercer une activité professionnelle ; celui-ci se voyant en effet interdire de travailler pour une entreprise concurrente pendant une durée déterminée, alors même que la tentation d’y orienter ses recherches d’emploi s’impose avec évidence.

Certains employeurs ont néanmoins imaginé pouvoir contourner l’obstacle que constitue à leurs yeux le paiement de cette contrepartie financière, en insérant dans le contrat de travail, non pas une clause de non-concurrence, mais une clause qualifiée de « clause de respect de la clientèle ».

Celle-ci comporte la même obligation pour le salarié, de ne pas entrer au service d’une entreprise concurrente après la rupture de son contrat de travail, mais présente cette particularité de ne pas prévoir de paiement d’une contrepartie financière.

Un subterfuge démasqué

Le pot aux roses a vécu, car la Cour de cassation a tôt fait de juger que nonobstant sa dénomination, une clause selon laquelle il est fait interdiction à un salarié, durant une période déterminée, d’entrer en relation, directement ou indirectement, selon quelque procédé que ce soit, avec la clientèle qu’il avait démarchée lorsqu’il était au service de son ancien employeur est une clause de non-concurrence ; et qu’en l’absence de contrepartie financière, celle-ci était nulle (Cass. Soc. 19 mai 2009 n° 07-40222).

La solution a depuis été constamment affirmée.

Cela n’a semble-t-il pas suffi à décourager des employeurs, qui, avec persistance et usant d’un rapport de force qu’ils savent leur être favorable, stipulent dans le contrat de travail des salariés qu’ils embauchent une telle clause.

Les cabinets d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, mais ils ne sont pas les seuls, ont au demeurant souvent nourri la jurisprudence.

Ainsi, une clause dite de loyauté et de respect de la clientèle, applicable à un associé du cabinet KPMG, a été requalifiée en partie en clause de non-concurrence (Cass. Soc. 2 déc. 2015 n° 13-20706).

Dans une nouvelle affaire, le contrat de travail d’une salariée, embauchée comme assistante juridique dans un cabinet d’expertise comptable, prévoyait que « tant pendant la durée du contrat que pendant les 36 mois suivant la fin de celui-ci, il lui était interdit de s’intéresser comme assistante juridique aux clients de la société du groupe XXX, qu’elle exerce personnellement ou en société ou qu’elle entre au service d’un tiers, la notion de client s’entendant de toute personne physique ou morale ayant eu recours aux services de la société ou des sociétés du groupe, au cours des deux années précédant son départ définitif et s’étendant aux filiales du client ».

Les parties avaient choisi de conclure une rupture conventionnelle quelques années plus tard.

La contrepartie financière est donc due, comme pour une clause de non concurrence

La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale afin notamment de voir juger que la clause qui figurait dans son contrat de travail sous l’intitulé de clause de respect de la clientèle était en réalité une clause de non-concurrence, et obtenir le paiement de sa contrepartie financière.

La Cour d’appel avait effectivement reconnu qu’il s’agissait bien d’une clause de non-concurrence et avait condamné l’employeur à la somme de 15 000 € à titre de dommages intérêts, en refusant de faire application de l’article 8-5-1 de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes.

Cet article précise les conditions de validité et la contrepartie financière applicables à une clause de non-concurrence, mais réserve le paiement de la contrepartie financière uniquement au licenciement et à la démission, à l’exclusion de la rupture conventionnelle.

La Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, et énonce que « le montant de la contrepartie financière à une clause de non-concurrence ne pouvant être minoré en fonction des circonstances de la rupture, il en résulte que la contrepartie prévue par la convention collective en cas de licenciement était applicable en l’espèce » (Cass. soc. 18 janv. 2018 n° 15-24002).

Le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut donc être différent, qu’il s’agisse d’un licenciement, d’une démission, d’une rupture conventionnelle, voire d’une prise d’acte.

Cette décision doit être rapprochée d’une précédente, dans laquelle la Haute Juridiction avait considéré que les parties ne peuvent dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence de celles de son indemnisation, de sorte que la stipulation qui minore en cas de démission la contrepartie financière est réputée non écrite (Cass. Soc. 25 fév. 2012 n° 10-11590).

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