Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Quel est le statut d’un auto-entrepreneur? Entre entrepreneur et travailleur subordonné

Le statut d’auto-entrepreneur est récent, il a été institué par la loi du 4 août 2008, avec pour objectif  affiché de « promouvoir l’esprit d’entreprise en France ».

Il prévoit notamment un régime social et fiscal favorable lorsque le chiffre d’affaires réalisé est inférieur à un montant déterminé (72 600 € pour les activités de prestations de services, 176 200 € pour les activités commerciales et de fourniture de logement).

La formule rencontre un certain succès puisqu’il s’en dénombrerait près de 900 000 aujourd’hui, bien que moins de la moitié d’entre eux soient actifs (en février 2013, 410 000 ont effectivement réalisé un chiffre d’affaires), et que 90 % déclaraient un revenu inférieur au SMIC, selon les chiffres de l’INSEE.

Un projet de loi est au demeurant actuellement en préparation visant à la limitation dans le temps de l’auto entreprise et au passage vers un statut d’entreprise classique lorsque des seuils de chiffres d’affaires déterminés ont été atteints pendant deux années consécutives.

Si certains avaient pu y voir, à l’origine, une forme de concurrence déloyale de la part des auto-entrepreneurs, d’autres ont pu déceler tout le parti qu’ils pourraient en tirer.

C’est ainsi que des employeurs avisés ont conclu avec des auto-entrepreneurs des contrats dénommés « contrat d’apporteur d’affaires », ou « contrat de partenariat »… qui dissimulent en réalité de véritables contrats de travail.

Cette convention présente en effet de nombreux avantages pour l’employeur : pas de salaire minimum, pas de limitation de la durée du temps de travail, pas de charges sociales ni de congés payés…, la rémunération de l’auto-entrepreneur est établie en règle générale sur la base d’une prestation réalisée.

Pour autant, le donneur d’ordres qui agit de la sorte s’expose à devoir répondre d’une action judiciaire visant à faire requalifier le statut d’auto-entrepreneur et cette relation en contrat de travail, qui peut se révéler lourde de conséquences.

En droit, la qualité de salarié est reconnue à celui qui dispose d’un contrat de travail.

Le critère décisif du contrat de travail est constitué par l’existence d’un lien de subordination.

La Cour de cassation considère en outre que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cass. soc 19 déc. 2000 n° 98-40572).

Qu’importe donc que la relation liant les parties soit intitulée « contrat d’apporteur d’affaires », si en réalité l’existence d’un lien de subordination est établie, la requalification en contrat de travail, ouvrant la porte du salariat, est encourue.

Le lien de subordination est caractérisé, dans sa définition classique, par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Cass. soc 25 juin 2013 n° 12-13968), la réunion de ces trois conditions étant requise.

Concrètement, l’intéressé reçoit les ordres de son commanditaire, celui-ci vérifie et contrôle l’exécution des directives qu’il a données, et en cas de manquement, inflige au défaillant une sanction qui peut consister, par exemple, en un refus de paiement.

Depuis plusieurs années, on observe également que la Cour de cassation attribue à la dépendance économique le critère du salariat.

C’est ainsi que le mandat d’un agent commercial a été requalifié en contrat de travail (Cass. 2ème Civ, 20 mai 2010 n° 08-21817), au motif :

  • qu’il occupait, sans payer de loyer, des locaux au sein de l’entreprise dont il utilisait le matériel de bureau et de communication,
  • qu’il n’avait pas de clientèle propre, et travaillait selon les instructions précises que lui donnait la société,
  • qu’il n’avait aucune faculté de modifier les prix de négociations qui lui étaient indiqués,
  • que ses rendez-vous étaient fixés et enregistrés sur son agenda en son absence.

De même qu’a été requalifié le contrat d’un prestataire travaillant exclusivement pour un donneur d’ordres, selon ses consignes et directives (Cass. soc 15 mars 2006 n° 04-47379).

Cette requalification emportera non seulement le versement de salaires et autres paiements attachés à la qualité de salarié, mais également, en cas de rupture de la relation contractuelle, à ce que celle-ci soit analysée en un licenciement, dont les règles de forme et de fond, prévues par le Code du travail, auraient été violées.

Au surplus, l’employeur pourra également être condamné pour travail dissimulé devant la juridiction pénale.

En effet, L’article L 8221-5 du Code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, notamment, de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une première décision en ce sens (Cass. crim. 15 déc. 2015 n° 14-85638).

En l’espèce, le gérant d’une société ayant pour activité la téléprospection a été jugé coupable du délit de travail dissimulé, pour avoir employé d’anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneur, en vue de poursuivre pour le compte de cette société l’activité de téléprospection téléphonique.

Ceux-ci fournissaient en réalité une prestation de travail dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de la société, de sorte que le délit de travail dissimulé était constitué.

Précisons enfin que l’article L 8223-1 du Code du travail dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions caractérisant le délit de travail dissimulé pourra prétendre à une indemnité forfaitaire d’un montant égal à six mois de salaire.

Ce type de contentieux se répand devant les Conseils de Prud’hommes, et il n’est pas à exclure qu’il devienne fréquent à l’avenir.

Prenez conseil auprès d’un avocat droit du travail.

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