Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le retour du salarié dans l’entreprise après son détachement

Les cadres salariés travaillant dans un groupe de dimension internationale, qui envisagent d’évoluer vers un poste à responsabilité, savent qu’il leur est vivement recommandé d’enrichir leur parcours d’une expérience professionnelle valorisante au sein d’une des filiales étrangères du groupe.

Ce détachement temporaire donne lieu à la conclusion d’un contrat de droit local avec la filiale étrangère, tout en conservant un lien contractuel avec la société mère.

Lorsqu’il est mis un terme à ce détachement, le contrat local est rompu, souvent sous forme d’un licenciement, et la société mère procède à ses frais au rapatriement du salarié.

L’article L 1231-5 du Code du travail prévoit à cet égard que « Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein. Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions (relatives au licenciement) sont applicables. Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement. »

La réintégration du salarié ne va pas toujours sans difficulté et dépend tout autant de la bonne foi de l’employeur que de l’existence d’un poste à pourvoir.

Quel poste au sein de l’entreprise ?

La pratique permet en effet de constater que certains employeurs s’affranchissent de leur obligation légale, soit en laissant le salarié dont le licenciement a été effectué par la filiale étrangère dans une totale incertitude sur sa prochaine affectation, soit, après qu’il ait été rapatrié, en lui attribuant un emploi d’une qualification inférieure à celui qu’il occupait précédemment.

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que l’employeur devait faire une proposition loyale de réintégration au sein de la société mère (Cass. Soc. 28 oct. 2015 n° 14-16269).

L’offre de réintégration doit au demeurant, outre sa compatibilité avec l’importance des précédentes fonctions de l’intéressé, être sérieuse et précise (Cass. Soc. 21 nov. 2012 n° 10-17978).

En réalité, les périodes entourant la rupture du contrat local et la réintégration auprès de la société mère sont fréquemment génératrices de litiges, dont l’issue peut être amiable, ou à défaut, réglée par les juridictions compétentes.

Dans les deux cas, une question fondamentale tient au montant du salaire qui doit être pris en considération pour déterminer l’indemnisation due au salarié ?

La réponse revêt une grande importance car les salariés détachés ou expatriés bénéficient souvent d’avantages dont ils sont privés lorsqu’ils réintègrent la société mère.

En cas de rupture du contrat de travail, assiette de calcul des indemnités

Concernant les indemnités de rupture, que sont l’indemnité de licenciement et, le cas échéant, l’indemnité compensatrice de préavis, il a été jugé qu’à l’égard du salarié dont le licenciement a été prononcé par la société-mère après que la filiale a mis fin à son détachement, ces indemnités doivent être calculées par référence aux salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi, incluant en tant que de besoin les avantages en nature dont il disposait (Cass. Soc. 9 avril 2014 n° 12-24019, Cass. Soc. 4 mai 2011 n° 09-42979).

C’est également sur cette base que seront calculés les dommages intérêts alloués au salarié.

Une récente affaire nous donne une illustration des règles applicables.Assiette de calcul des indemnités et des dommages intérêts dus au salarié expatrié qui a été licencié

Un salarié engagé par une société mère française au sein de laquelle il avait travaillé plusieurs années, avait été détaché en qualité de directeur de sa filiale en Turquie.

Après qu’il ait été licencié par cette filiale trois ans plus tard, la société mère n’avait pris aucune initiative en vue d’assurer son rapatriement et ne lui avait fait parvenir aucune offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions.

En outre, elle avait négligé de lui verser son salaire après son licenciement par la filiale turque.

Le salarié avait en conséquence pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et saisi la juridiction prud’homale afin d’en tirer les conséquences juridiques qui en résultaient.

La Cour d’appel lui avait donné raison.

Des dommages intérêts calculés en référence au dernier emploi du salarié

On sait que lorsque la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit au bénéfice des indemnités de rupture ainsi qu’à des dommages intérêts.

Les Juges d’appel avaient relevé que le contrat de travail conclu par le salarié avec la société mère fixait sa rémunération annuelle brute à 140 000 euros, et que si le paiement de cette rémunération était réparti entre la société mère, à hauteur de 3 100 euros nets mensuels, et la filiale pour le complément, il n’était nulle part indiqué que ce complément était subordonné au maintien du contrat de travail passé avec la filiale turque.

Elle en déduit donc qu’en cas de rupture de la relation de travail par la filiale turque, la société mère était tenue de verser à son salarié l’intégralité de la rémunération prévue par son contrat de travail jusqu’à son rapatriement et son reclassement en son sein, ou en cas de refus des propositions de reclassement, jusqu’à son licenciement.

La Cour de cassation approuve ce raisonnement, et énonce qu’après le licenciement du salarié par sa filiale étrangère, la société mère demeurait tenue au paiement de la totalité du salaire de base convenu, jusqu’à la date de rupture du contrat de travail

La Haute juridiction rappelle au surplus que les indemnités de rupture, auxquelles peut prétendre le salarié, doivent être calculées par référence aux salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi (Cass. Soc. 20 oct. 2016 n° 15-17526).

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